"Leur première vraie nuit fut celle qu'ils appelèrent Port-Maria..."

Leur première vraie nuit fut celle qu'ils appelèrent Port-Maria... Appel des harmoniques de la vie. Appel de l’horizon, agglutinant en transparences moirées la frange des eaux à l’azur crépusculaire, cette ligne sur laquelle elle aurait voulu, enfant, poser son doigt... Le souvenir lui en revenait parce qu’il lui révélait cette communion du ciel et de la terre, dans l’inaccessible du sublime spectacle.

Appel dans l'obscurité du chant des insectes stridulant en cadence leur soif mystérieuse des fluides magnétiques de l'immensité. Appel de ces rythmes subtils, de ces senteurs aiguës, de ces vibrations cuivrées.

Ni l'un, ni l"autre ne s'était pris ou donné... La nuit profonde, venue des temps erratiques les avait réunis, les avait éveillés, chauffés à blanc et alliés dans son creuset de pureté incandescente.

Comme fondus dans le typhon qui les engloutit et les fait renaître, les voici vacillant dans l’élément liquide de l’abîme céleste. Sombrant sans pesanteur dans des océans bleus, ils redécouvrent dans le vertige d'étranges regards le Paradis des Origines.

Lentement, longuement, ils évoluent dans un royaume sans dimension, renversés doucement vers des sables phosphorescents, entre des galets gigantesques aux couleurs de pierre de lune. En un échange insondable, ils interfèrent et pulsent en résonance avec tous les chants de la terre au milieu d'une jungle aquatique, aux fleurs translucides, aux coraux tropicaux.

Et des heures durant, le temps suspendu, ils luttent pour et contre cette possession qui les noue et les noie. De toutes leurs forces, ils tentent de retenir cette parcelle d'éternité qui leur est offerte : sans geste, retenant leur respiration, ils sont deux aimants tendus vers l’Attente.

Mais peu à peu, leurs nerfs à vif s’exaspèrent et cèdent. Leur imagination s’affole et s'enflamme. Du lointain s'avance l'orage. Il se précipite sur eux, bouleversant le paysage maîtrisé de leur indistinction fusionnelle. Des torrents embrasés sourdent en eux. Des éclairs illuminent un monde convulsé, fracassé, délirant. Ils suffoquent. Ils tournoient dans la spirale, se divisent et se rejoignent simultanément dans ses systoles d'énergie miraculeuse. Ils ignorent tout, si ce n'est qu'ils sont au centre d'un noyau d'eau et de feu, qui les projette à des milliards d'années-lumière.

... De l'Orient, le soleil a surgi, inondant leur chair et le ciel de ses rayons éblouissants : alors ruissellent des cascades de lumière, des fontaines de diamants, des sources irisées, qui déversent en eux leur écume d'aspirations et de rêves retrouvés.

Pour lui, pour elle, la nuit exquise de Port-Maria arrive à son terme et s’estompe dans le jour nouveau. Au delà de l’harmonie ultime des corps et des âmes, elle transcende leur amour en un mystère plus grand encore, celui qui, depuis la nuit des temps, anime le fleuve de la vie.

… Dans les jardins du ciel, où s’abolit la différence entre les êtres et les choses, effleurant les reflets d’une paix absolue, ils reposent en flottant parmi les bulles d’une aquarelle qui se disperse à l’infini"...

Jean-Christian Michel